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Chères concitoyennes, engagez-vous !

Article paru dans La Presse de Tunisie du 21 avril 2011

Par Fatma Dellagi (Psychiatre)

Décidément cette année 2011 aura radicalement brouillé les cartes en politique. Alors que jusque-là les modèles démocratiques venaient plutôt de l’autre rive de la Méditerranée voire d’Outre Atlantique, aujourd’hui, c’est bien de Tunisie que souffle un enthousiasme politique qui soulève le monde et tranche face aux désenchantements occidentaux, si l’on fait exception de l’euphorie qu’avait suscitée Obama en 2009.
En Occident, progressivement, mais sûrement, l’abstentionnisme électoral se renforce, la désaffection vis-à-vis des partis se confirme avec une érosion de la militance et un rejet des responsables politiques qui s’accentue. Savez-vous qu’aujourd’hui, des responsables occidentaux citent la Tunisie en exemple d’inspiration pour un renouveau politique et citoyen ? Certains, nostalgiques des années fastes de l’ébullition politico intellectuelle européenne, viendraient même aujourd’hui s’y ressourcer. Car des évènements cruciaux ont transformé la Tunisie. Le dernier en date, essentiel à mon sens, nous vient de la Haute Instance nationale  chargée de préparer loi électorale pour  les élections du 24 juillet de l’Assemblée nationale constituante. Elle  a opté le 11 avril 2011 pour un scrutin de liste à la proportionnelle respectant la parité hommes – femmes. Il s’agit-là d’une décision unique, progressiste, moderne et responsable qui éclaire l’avenir de ce pays.  Mais il ne faut pas en rester  à une déclaration : il nous faut immédiatement transformer l’essai.
C’est la raison pour laquelle je lance un appel aux Tunisiennes, pour qu’elles s’engagent sans plus attendre. N’ayez pas peur ! La politique a besoin des femmes. Leur façon d’exercer les responsabilités correspond aux besoins du citoyen du XXIe siècle. De nombreuses études l’ont montré :  écoute, proximité, communication et action sont des domaines où elles excellent. Sans verser dans l’angélisme où tombent certaines femmes ni dans la caricature que proposent certains hommes, je défends l’idée selon laquelle si la politique était plus féminisée, la foi en  la chose publique reviendrait au centre des préoccupations de tous. Élues ou militantes, affranchies et responsables, les voix des femmes pèseront pour mettre en place un avenir qui sera meilleur pour tous ou ne le sera pour personne. La Tunisie écrit une page blanche de sa démocratie, elle ne s’écrira pas sans les femmes. D’une part parce qu’il n’y a pas de raison qu’elles en soient écartées, d’autre part parce qu’elles auront une meilleure écoute des préoccupations de leurs congénères qui représentent un peu plus de 50% du corps électoral, compte tenu de l’espérance de vie plus longue pour le genre féminin.

Ne pas avoir peur de l’engagement politique

J’entends, ici ou là, s’exprimer chez les femmes une crainte de l’engagement politique : il serait dangereux, peu noble voire pire. Tout cela dépend de la façon dont on envisage la citoyenneté. Saisissons l’opportunité de cette incroyable innovation à la tunisienne pour commencer à faire de la politique autrement. Tout en restant vigilantes sur la nature humaine et ce que suscite en elle la quête du pouvoir, vous avez à prendre résolument vos places, mesdames. Elles vous attendent, vous toutes, que vous soyez enseignantes, ouvrières, médecins, à la recherche d’emploi, au foyer ou ailleurs. Occupez les places y compris celles aux plus hautes responsabilités. Vous seriez ainsi garantes d’une réelle application de la parité, contrairement à ce que l’on constate encore en Europe, où les femmes sont si souvent de simples variables d’ajustement.
Voyons rapidement en quoi consiste en pratique l’engagement  politique. Il peut se faire sous différentes formes plus ou moins conventionnelles :  l’adhésion à un parti politique, un syndicat ou une association, l’engagement dans un organisme humanitaire ou bien la participation plus informelle à des manifestations, boycott ou autres grèves de la faim. C’est d’abord vers les formes classiques d’engagement que je vous encourage à aller, c’est-à-dire à adhérer aux organisations qui construisent la vie de la cité.
Il faut pourtant reconnaître que l’engagement politique comporte bien des inconvénients et n’est pas toujours directement gratifiant. Il est tout d’abord chronophage : les débats, le travail de conviction, la rencontre avec les citoyens, la pédagogie vers les plus jeunes et les aînés, les écrits occuperont une grande partie de votre temps . Face à une Europe qui s’inquiète d’un glissement de l’engagement «classique» vers de nouveaux moyens d’expression politique, la Tunisie prouve l’intérêt de cette évolution. Ce sont les Tunisiens qui ont montré l’évidente efficacité des nouveaux moyens de communication. L’engagement politique est une remise en question perpétuelle, car vous ne serez pas toujours d’accord avec ceux dont vous partagez pourtant le combat. Il comprend aussi des luttes de pouvoirs auxquelles les femmes sont peu habituées, certes. Toutefois, plus il y aura de femmes, moins les fonctionnements leur seront étrangers.
Passons maintenant aux avantages. Le principal que je vois est celui de FAIRE. C’est ainsi que les femmes conçoivent le pouvoir : elles tiennent à réaliser leurs projets. Thatcher, qui pourtant n’est pas mon modèle politique, disait : «En politique, si vous voulez des discours, demandez un homme ; si vous voulez des actes, demandez une femme».
Personne ne niera l’ampleur de ses réalisations. Tout en tentant de réaliser votre mission, vous vous enrichirez des rencontres, des discussions, des témoignages et surtout de l’immense créativité humaine. Bref, vous en sortirez plus intelligentes.
S’engager n’est pas définitif, contrairement à ce que pensent certains : vous êtes libres de quitter ou de passer d’un parti vers une association ou inversement. Autorisez-vous donc une porte de sortie. Mais vous aurez essayé, et cela aura été votre choix de femme libre.
Dans le militantisme, il existe des moments plus ou moins denses : ceux des échéances électorales le sont plus, bien entendu.Et pour ce qui concerne la Tunisie, c’est aujourd’hui. Mais il y aura aussi un « après 24 juillet  2011» car le plus important restera alors à faire.
Enfin, si les femmes ne s’engagent pas, elles auront moins de légitimité à critiquer les politiques en cours. La réponse  d’en face sera facile : «Tu n’avais qu’à y aller». Alors, chères concitoyennes, je vous dis : allez y !

[Note du webmaster du site fdtl-france ( Vincent Lévy, moi-même un de ces  européens « nostalgiques des années fastes de l’ébullition politico intellectuelle européenne, [et venu] s’y ressourcer » ) :

ce que Fatma Dellagi avance pour les femmes est valable pour les jeunes aussi. De nombreux jeunes rencontrés dans les meetings et réunions politiques sont curieux mais méfiants face aux partis politiques. Or, s’ls ne s’y investissent pas maintenant, ces partis ne changeront pas et ne se revivifieront au contact de nouvelles idées, manières de penser et façons d’agir. Il reste trois mois avant les prochaines élections à l’Assemblée Constituante, et si nous voulons que nos idées progressistes – liberté d’expression, liberté de pensée, liberté d’action – vainquent, il nous faut absolument accéder au pouvoir (et le mot pouvoir n’est pas un gros mot, c’est le moyen unique de pouvoir agir). Trois mois, ce n’est pas grand-chose dans une existence, et c’est l’occasion ou jamais de militer. Une situation « révolutionnaire » comme celle qui s’est déroulée sous nos yeux depuis décembre 2010 ne s’est pas produite depuis longtemps et ne se reproduira pas avant longtemps. La vivre à 20 ou 30 ans est un moment incroyable, dans lequel cela vaut la peine de s’investir totalement, pour ne pas avoir à se dire plus tard : « J’aurais dû, si j’avais su ! » ]

 

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