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Il n’y a pas de place, en Tunisie, pour un parti religieux et qui, de surcroît, prétend parler au nom de l’Islam

Article paru dans le journal « Le Temps » du 05 juin 2011 par Mona BEN GAMRA

Questions/ Réponses
« Il n’y a pas de place, en Tunisie, pour un parti religieux et qui, de surcroît, prétend parler au nom de l’Islam »

Mustapha Ben Jaâfar, Secrétaire général d’Attakattol (FDTL) fait un tour d’horizon de la situation en Tunisie : la Constituante, le positionnement vis-à-vis de la France… L’essentiel à ses yeux est qu’on peut faire de la politique « sans manigances » ni « compromis »…Et pour une question d’identité, il affirme qu’Attakattol est plutôt au ‘’centre-gauche’’.

Le Temps : Le 22mai vous avez annoncé, lors d’un meeting, que dans une semaine, c’est-à-dire, le 1er juin votre programme électoral sera fin prêt. Il tarde à venir semble-t-il.

Mustapha Ben Jaâfar : La date des élections a été reportée. Nous allons donc prendre beaucoup plus de temps pour apporter plus de précision à ce programme qui se prépare à feu doux par une équipe de jeunes compétences dans tous les secteurs politique, social, et culturel. Nous prévoyons une rupture avec la dictature par la réforme des institutions avec la mise en place de pouvoirs séparés, une justice indépendante et une information libre. Nous pensons que l’Etat doit reprendre son rôle de Stratège et de régulateur dans le secteur économique car nous ne pensons pas que la liberté du marché puisse apporter la solution aux injustices qui ont marqué l’ère Ben Ali. Il faudra également s’attaquer aux priorités telles que le problème du chômage qui nécessite un grand effort d’investissement de l’Etat par la création d’un vrai climat d’affaires encourageant l’entreprise privée nationale et internationale. Cela nécessite aussi et fondamentalement une réforme radicale du système éducatif transformé par la démagogie de Ben Ali en véritable fabrique de diplômés chômeurs. Les domaines de la culture et du sport ne sont pas en reste, car c’est à l’école dans des clubs de jeunes et de terrains de sport qu’on forme notre jeunesse et qu’on la prépare à un avenir meilleur.

Etes-vos confiant pour la réussite de ces élections de la Constituante ? Ou alors êtes-vous déçu à cause du report de la date du 24 juillet ?

Les élections sont un point de départ qu’il faut réussir. C’est pour cela que nous ne nous sommes pas laissé entraîner à FDTL par le débat sur la date. La priorité est pour l’organisation d’élections démocratiques et transparentes. Par ailleurs nous sommes déçus, car nous voulions passer à une autre étape de légitimisation des institutions au plus tôt. Mais cela ne doit pas se faire aux dépens de la qualité des élections. Il s’agit de jeter les fondations de la Tunisie nouvelle. Nous n’avons pas le droit à l’erreur.

Des voix s’élèvent aujourd’hui avançant qu’on aurait pu rééditer la Constitution de 1959 au lieu de la refaire. Histoire de gagner du temps. Qu’en pensez-vous ?

Toutes les hypothèses peuvent être soumises à la discussion. Nous pensons à Attakattol, et en respect à la Révolution et à ses martyrs, qu’il est important de faire un geste fort en tournant la page de la Constitution de 1959 tellement manipulée qu’elle devient méconnaissable.

Vous avez envoyé dernièrement une lettre au Président français. Est-ce qu’on a besoin de la France de Sarkozy?

On a besoin de la France tout court. On ne peut pas vivre à l’écart du monde en autarcie cloisonnée. Aujourd’hui 80% de nos échanges économiques se font avec les pays de l’Europe avec une dominante du sud de l’Europe, la France, l’Italie et l’Espagne. C’est vital pour la Tunisie de garder de meilleurs rapports avec la France. Mais il faut que cela se fasse d’une manière équilibrée sur la base de l’intérêt national qu’on défend bec et ongles dans le respect des valeurs fondamentales de démocratie et des droits de l’Homme.

Est-ce qu’on peut avoir une idée sur le contenu de cette lettre ?

C’est une protestation contre les traitements infligés à nos concitoyens qui fuyant la misère se sont jetés à l’eau, au péril de leur vie, pour rejoindre le nord de la méditerranée. En même temps c’est un appel au Président français pour traiter nos concitoyens en vertu de la déclaration des droits de l’Homme. On a insisté sur le fait qu’il ya d’autres solutions pour aider la Tunisie dans la phase délicate qu’elle traverse notamment par la signature des contrats formation travail, en laissant la liberté à nos concitoyens par la suite, de rentrer chez eux ou de rester en Europe dans la dignité. J’ai, par ailleurs, souligné le paradoxe qui fait que la Tunisie reçoit des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la Libye sous le feu de l’OTAN et que l’Europe riche est incapable de recevoir quelques milliers transitant par la Méditerranée.

D’après-vous, le printemps Arabe va-t-il obliger l’Occident à changer son regard vis-à-vis de nous ?

C’est une revendication ancienne du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL). On a toujours critiqué la vision européenne qui privilégie la sécurité et la stabilité aux dépens des libertés et de la démocratie. Nous pensons que la vraie stabilité ne peut être acquise qu’avec une démocratie participative. Aujourd’hui la preuve est faite que démocratie et culture arabo-musulmane se conjuguent pour aller à l’encontre de certaines idées reçues qui ont la vie dure et qui ont considéré que l’Islam et la démocratie sont incompatibles.

L’Occident, il faut dire, a failli à ses devoirs puisque d’une manière ou d’une autre aurait soutenu les dictatures pour que Ben Ali puisse imposer son système dictatorial sur la Tunisie. Cela nous a coûté pas mal de sacrifices.

Vous avez critiqué le gouvernement Ghannouchi. Est-ce que le gouvernement Caïd Essebsi est au dessus des critiques ?

Aucun gouvernement n’est au-dessus des critiques. Les deux gouvernements provisoires n’ont pas réussi à un moment crucial de donner des signaux qui rassurent l’opinion publique en un temps où le Tunisien a perdu sa confiance dans le régime Ben Ali. Nous avons senti que le gouvernement Ghannouchi a privilégié la continuité aux dépens du changement. Le résultat est qu’on n’a pas pu éviter le gâchis. On a notamment perdu un temps précieux et été obligé de reporter la date des élections qui sont un passage d’une situation de transition à la légitimisation de nos institutions. Le gouvernement Essebsi a rectifié le tir, en ce sens où il a montré qu’il est question de faire une rupture avec le passé et en acceptant qu’une institution indépendante représentant les forces vives de la société copilote cette phase transitoire.

D’aucuns considèrent que la révolution égyptienne a pris de l’avance par rapport à la nôtre. On n’a pas encore extradé Ben Ali et accéléré les processus pour récupérer l’argent du peuple volé. Le silence complice du gouvernement Essebsi n’est –il pas préjudiciable?

On ne peut pas comparer deux situations différentes. Il est vrai qu’en Egypte on a marqué quelques points en matière de poursuite contre les symboles de la dictature, mais je pense que la Révolution tunisienne est en train d’avancer non pas d’une manière spectaculaire mais sûre. Cela est dû à l’attitude de notre armée qui s’est comportée en armée républicaine respectueuse de la Révolution et des martyrs. Reste que nous déplorons certaines lenteurs dans les réformes nécessaires aux systèmes sécuritaire et judiciaire. Nous déplorons également la lenteur de la commission indépendante chargée de réglementer le secteur des médias. Nous ne comprenons pas qu’à ce jour il n’y ait pas de règles concernant le financement des partis politiques.

Puisqu’on y est, où est-ce que vous vous positionnez dans le paysage politique et par rapport à ceux qui ne sont pas de votre bord : les islamistes ?

On ne peut pas prendre en compte les schémas occidentaux qui ne correspondent pas forcément à notre situation. Mais bon si l’on prend le modèle français Ettakattol sera au centre gauche. Nous correspondons à la véritable image de la société tunisienne qui est une société de modération enracinée dans sa culture et son histoire arabo-musulmane mais ouverte sur les autres civilisations extérieures dans le respect des valeurs universelles des libertés de la démocratie et de l’égalité homme/femme.

Hamadi Jébali, le Secrétaire général d’Ennahdha, a annoncé lors d’une conférence de presse la semaine écoulée que son parti est « civil ». Comment réagissez-vous à cela ?

On peut soulever certaines contradictions dans les propos des uns et des autres. Il faut dire qu’Ennahdha soumis à des critiques et suscitant certaines peurs essaye d’y remédier en affirmant qu’il est un parti civil. C’est ce que nous avons toujours demandé. Car il n’y a pas de place en Tunisie pour un parti religieux qui prétend parler au nom de l’Islam qui est une référence commune en terre d’Islam. Il va falloir aujourd’hui, juger tout le monde sur ses actes. Les élections sont une occasion historique pour savoir s’il s’agit d’un double langage ou d’une question de changement réel. Cela ne concerne pas uniquement Ennahdha mais tous les partis idéologiques de droite ou de gauche.

Vous êtes présidentiable. Est-ce que la présidence vous tente pour autant ?

Il n’est pas encore temps d’y répondre. Pas avant les élections de la Constituante. Pour le moment l’essentiel pour moi est de faire gagner à Attakattol la place qui convient compte tenu de son combat contre la dictature et de sa capacité de participer à l’édification de la Tunisie nouvelle. Le jour venu, je resterai comme avant au service de l’intérêt national.

Croyez-vous vraiment qu’on peut faire de la politique sans user de manigance et sans compromis ?

Oui cela est possible. Je vous remercie pour cette question car je pense et sans flagorneries que cela correspond à Attakattol qui sur ses trente ans de combat en a donné la preuve. Il a toujours été question pour nous de respecter les valeurs fondamentales et l’action politique qui pour nous doit être conjuguée avec éthique. Et c’est en s’inspirant de ces valeurs que nous avons décidé de nous engager au service de la Révolution et des objectifs définis par ses martyrs.

Est-ce que le militantisme politique et celui des droits de l’Homme sont compatibles ?

En militant des droits de l’Homme je peux vous le confirmer. Il faut savoir mettre la casquette là où il faut quand il le faut. Il ne faut pas oublier qu’au temps de Ben Ali le combat était pour la liberté et les droits de l’Homme, car politique et opposition étaient interdits… Un militant des droits de l’Homme n’est pas moins citoyen qu’un militant syndicaliste ou politique tant qu’il est capable d’éviter les confusions des genres.

Mona BEN GAMRA

 

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