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L’humour, arme de dérision massive en Tunisie

Article paru sur LeNouvelObs.com le 29 mars 2011

Par Hakim Bécheur ( né en Tunisie et  chef de service dans un hôpital parisien. Membre du FDTL-France )

Qui a dit que les révolutionnaires devaient être tristes et graves ? En Tunisie, l’humour a toujours été une arme politique de dérision massive.

Du temps de notre satrape dont le nom n’était jamais cité dans les lieux publics infestés d’indics, Ben Ali était affublé de sobriquets plus ou moins ésotériques. De « Tarzan » (un lien avec les gorilles ?) à « Ammar-404″ (en référence à l’erreur du même numéro s’affichant sur Internet suite à la censure), en passant par « le mari de la coiffeuse » (Leïla Trabelsi, l’épouse honnie, ayant exercé ce noble métier), l’imagination était fertile.

Pourtant, la peur rôdait et la chape de plomb imposée par le dictateur et sa famille de rapaces insatiables était bien lourde à porter. Mais précisément, seul le rire permettait d’échapper un tant soit peu à l’étouffement des libertés. Comme il est – parait-il – le propre de l’Homme, les Tunisiens ont compris qu’ils ne se supporteraient leur condition de sujets soumis à l’arbitraire du « président bac moins trois » qu’à la condition d’en rire. D’aucuns l’ont payé cher car les dictateurs, fussent-ils ignares, savent bien que le rire est dangereux.

Et puis vint le moment où l’humour ne suffit plus même quand il se fait de plus en plus grinçant. La mort auto-infligée de Bouazizi suivie de celle des jeunes et moins jeunes tombés sous les balles des snipers, a transformé le rire en rage. Il est vrai qu’on ne peut rire avec tout le monde et sûrement pas avec les bourreaux qui tirent sur leurs peuples. A ceux-là, on dit « Dégage » ! Ce ne fut pas de la rigolade.

Depuis, les Tunisiens ont retrouvé le sourire. Il suffit de se promener dans les villes ou villages, sur Facebook ou Twitter pour s’en rendre compte. Pourtant, les problèmes à surmonter sont immenses. Pauvreté, chômage, transition démocratique délicate à gérer, nouvelle constitution à inventer, autant de sujets graves à en perdre son…humour. Mais non !

Entre une manif et un sit-in, on trouve encore le moyen de rire de tout : de l’âge canonique du très distingué premier ministre provisoire (et pour cause) exhumé des archives de la République, de la profusion de partis politiques surgis de nulle part, des anciens RCD dégagés et si vite reconvertis, des islamistes qui jurent (c’est un comble) qu’ils seront aussi sages que leurs homologues turcs et même des goujateries du fringant diplomate que la France a finalement envoyé, à défaut des flics d’Alliot-Marie.

Pour preuve d’un humour non seulement décapant mais aussi cruellement au fait des arcanes de la politique française, celui-ci a eu droit à un « Casse toi, pauv’Boillon », variante du « Dégage » réservé aux goujats locaux. D’ailleurs, comme me le racontait mon père lors d’un de mes séjours à Tunis, « le jour où les Français nous connaitront aussi bien que nous les connaissons, il est clair qu’ils ne feront plus les mêmes c…  » ! Par exemple, écrire dans un grand hebdo « Ben Ali mieux que Ben Laden » ou se répandre en fadaises « officielles » consistant à déclarer que le régime tunisien dégagé était un rempart contre l’islamisme !

Sans rire ?

 

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