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Les trois dimensions du programme économique d’ETTAKATOL

    «Notre programme économique n’est pas du Coran, il évoluera au fur et à mesure que s’exprimeront les besoins des acteurs socioéconomiques concernés», a déclaré Mustapha Ben Jaafar, président du Forum démocratique pour les libertés et le travail (FDLT ou Ettakatol en arabe).

Dans l’entretien ci-après, les artisans du programme économique Ettakatol nous en présentent les grandes lignes. Dans l’option de développer une démocratie participative au sein de leur parti, ils en débattront plus largement en impliquant les différentes parties prenantes susceptibles de l’enrichir.

WMC: Ettakatol prône une économie à visage humain, quelles en sont ses grandes lignes?

Notre programme est de favoriser une stratégie de reprise économique basée sur le plein emploi. Pour cela, Ettakatol prône une économie qui réconcilie tous les Tunisiens plus largement par le biais de la notion de citoyenneté dans un nouveau contrat social visant la performance mais aussi la cohésion sociale.

Dans ce contrat, le rôle de l’Etat est essentiel comme stratège et régulateur dans une relation public-privé de confiance, de complémentarité et d’efficacité. Cela ne peut être assuré sans un nouveau regard sur la gouvernance, le climat des affaires et la répartition des pouvoirs entre le centre et les régions.

Notre programme présente trois dimensions:

A court terme, il faut entreprendre des mesures d’urgence rapidement afin de réduire les tensions de chômage dans les zones défavorisées, récupérer et réinvestir les biens mal acquis, sauver les entreprises en difficulté.

Une deuxième dimension doit viser la relance économique par l’investissement public et privé: public, pour financer les grands projets d’infrastructure et prendre des participations dans les grands projets et les secteurs stratégiques; privé, en accordant des avantages fiscaux aux entreprises qui réinvestissent leurs profits, en apportant des garanties et le soutien de l’Etat pour les jeunes promoteurs, en renforçant le programme de mise à niveau tout en l’orientant davantage vers l’innovation et la création de valeur ajoutée.

Une troisième dimension cible l’émergence sectorielle: hisser le secteur industriel au plus haut niveau via une politique d’excellence basée sur l’intégration, l’innovation et l’internationalisation.

Valoriser le secteur agricole en mettant l’agriculteur au cœur de la stratégie du développement de l’agriculture tunisienne, afin d’atteindre une autosuffisance dans les segments stratégiques et une balance alimentaire positive.

Réviser la stratégie de développement du secteur touristique afin que la Tunisie devienne une destination de qualité, avec la promotion du tourisme culturel et un accroissement des recettes touristiques.

Rééquilibrer le secteur du commerce en vue d’une balance commerciale équilibrée et d’une meilleure régulation du marché.

Donner au secteur des services les perspectives de son intégration dans l’espace économique régional et international.

Orienter le secteur de la finance pour faire émerger un pôle financier en tant que vecteur de croissance et assurer une maîtrise parfaite des équilibres financiers du pays.

Ne pensez-vous pas que la communauté d’affaires, dans sa grande majorité, habituée à accumuler les richesses, ne vous fera de la résistance?

Il faut rappeler que cette communauté d’affaires tunisienne a surtout souffert d’une politique d’accumulation de richesses au profit des proches du pouvoir.

Pour Ettakatol, l’investissement privé est un des moteurs essentiels de l’économie et nous encourageons la libre entreprise.

L’entrepreneur, pour réussir dans son entreprise, a besoin d’un environnement d’affaires sain, d’une administration plus proche et plus efficace, d’une infrastructure adaptée et conforme aux standards internationaux, de ressources humaines qualifiées et adaptées à ses besoins. Ces grandes réformes représentent les piliers de notre programme économique.

De plus, nous voulons réformer les institutions de la promotion des investissements, et proposons un plan d’actions plus proactif afin d’attirer les donneurs d’ordre.

Nous proposons également de dynamiser les échanges à l’international vers le Maghreb, l’Euro-Med, l’Afrique, le monde arabe…

Pour les promoteurs de projets, nous proposons de démocratiser l’accès au financement.

Il est à noter que ce programme doit être associé à court terme -et il s’agit d’une urgence- au rétablissement de la sécurité et de la confiance. Et dans le respect des objectifs de la révolution, nous proposons de suspendre les anciens responsables encore aux postes clés et sensibles et de doter les juges d’instruction des moyens humains et matériels pour accélérer les procédures judiciaires.

Le plus grand problème de la Tunisie se situe au niveau des déséquilibres régionaux, quelle est votre approche pour y remédier?

Pour cet objectif de développement des régions en difficulté, il ne s’agit pas seulement que de réalisations économiques; si la plupart des réalisations antérieures ont échoué, c’est que l’aspect culturel a toujours été négligé. La culture d’entreprise doit être inculquée au sein même de l’école, des universités, par des mécanismes tels que «les juniors entreprises», «business angels», etc.

«Regagner la confiance des jeunes» ne doit pas rester un slogan vide de sens, mais devenir un programme pour que nos jeunes acquièrent non seulement des emplois dignes, mais deviennent une force de proposition et d’initiative à l’échelle des régions. Il faut impulser le développement de l’entreprenariat des régions par la région.

Un plan à moyen terme est proposé pour asseoir une décentralisation réfléchie et efficace. Une stratégie d’aménagement du territoire et une stratégie de «clustering» a été définie, clé de voûte pour les projets d’infrastructures et des grands pôles industriels et de services à mettre en œuvre sur les cinq prochaines années.

Ces réflexions seront précisées en collaboration avec nos bureaux régionaux, afin que toutes les propositions soient pertinentes quant aux spécificités culturelles-économiques-sociales de ces régions.

Pour le court terme, nous avons mis en place un think tank de projets, à partir duquel nous avons retenu quelques grands projets pilotes en partenariat public-privé, pour créer de nouveaux emplois et relancer l’économie.

Les réglementations en matière d’investissement et de fiscalité semblent constituer des freins à l’initiative privée. Avez-vous des propositions pour les améliorer?

Le véritable frein à l’investissement est le climat des affaires qui prévalait et qui prévaut encore en Tunisie. L’amélioration de la gouvernance et plus de transparence et d’efficacité au sein des organismes d’appui, des douanes, des ports maritimes ainsi qu’une amélioration de l’infrastructure sont les vrais leviers de relance de l’investissement. Ceci étant, la réglementation actuelle d’encouragement aux investissements se base sur des axes d’incitations rigides (exportation, développement régional, services à valeurs ajoutées…) qui se sont transformées en «pack» irréversible et immédiat d’avantages. L’investisseur se trouve donc systématiquement en train de solliciter ces avantages, parfois malgré lui, face à une administration qui, en tant que défenseur de l’intérêt général, se met à remettre en cause le bien-fondé et la consistance des investissements projetés.

La solution pourrait être de décloisonner les avantages de l’investissement en les liant plutôt aux conditions d’exercice de l’activité de l’entreprise. Un système d’avantages ciblés sur le nombre d’emplois créés, sur le taux d’intégration locale, sur le territoire d’implantation, incitant à l’innovation, à l’exploitation de brevets, … serait un système plus cohérent, plus incitatif pour les investisseurs à valeur ajoutée et plus rentable pour l’Etat.

L’enseignement, de l’école de base au supérieur, est un grand chantier, quelle approche prônez-vous à ce niveau?

Une restructuration totale du système éducatif tunisien est indispensable. Il faut redonner à l’enseignement son rôle essentiel d’ascenseur social qu’il a perdu au cours des dernières décennies. Cette tâche est particulièrement lourde car cela concerne tout le tissu sociétal et exige des efforts constants sur le long terme: il s’agit d’abord de relever le niveau de l’enseignement en général qui n’a cessé de se dégrader au point de devenir un des plus faibles du monde; il s’agit aussi de permettre à nos jeunes, dès leur plus jeune âge, de renouer avec leurs racines et valeurs authentiques de tunisianité, largement galvaudées depuis des décennies, et de les associer à une véritable culture moderne de démocratie afin de former des citoyens responsables; il s’agit enfin de mettre en adéquation la formation avec le marché du travail.

Concernant les programmes, à côté des connaissances scientifiques indispensables à notre époque, et des connaissances linguistiques qui doivent être renforcées et élargies -car on constate actuellement que c’est le frein majeur de nos diplômés par rapport à l’emploi-, on doit aider le jeune à construire sa personnalité en le réconciliant avec son milieu culturel, familial et sociétal; et là, l’appui et le rôle des médias audiovisuels sont entièrement à revoir…

Au «bourrage de crâne», avec des programmes trop concentrés qui sévit actuellement, il faut préférer l’initiation de l’enfant à la créativité, l’innovation, l’autonomie le travail en équipe…

Nous proposons également une «responsabilisation» des universités par rapport à des objectifs d’employabilité, moyennant plus d’autonomie et de souplesse quant à leur propre gestion interne.

Concernant les centres R&D, nous proposons des réformes leur permettant d’être plus productifs, plus proches des entreprises, et en phase avec les orientations stratégiques du pays.

 

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