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Ne laissons pas se flétrir la révolution du jasmin

Article publié par Hakim Becheur, membre du FDTL-France, dans le supplément « Le plus du Nouvel Observateur »

Ne laissons pas se flétrir la révolution du jasmin

Jeudi 26 et vendredi 27 mai, la Tunisie sera sur les planches de Deauville. Et les mots « révolutions arabes » fleuriront dans les discours des chefs d’État du G8. Mais cela fera-t-il éclore un plan économique de soutien à la transition démocratique ? Sélectionné et édité par Daphnée Leportois

Des économistes de renom, dont Joseph Stiglitz, prix Nobel, ont lancé un appel pressant pour que les pays riches, réunis à Deauville à l’occasion du G8, investissent massivement en Tunisie. Cela tombe bien : pour la première fois de son histoire, ce petit pays qui vient de commettre une grande révolution – « contagieuse » de surcroît – vient d’y être invité.

« Il est essentiel que les pays membres du G8 fassent le nécessaire pour que la Tunisie puisse être et demeurer l’exemple en matière de changement social, économique et démocratique pour l’ensemble de la région et au-delà », écrivent ces têtes pensantes (et avisées). Qui concluent leur plaidoyer en rappelant que ce nouveau Plan Marshall (ou Plan « Karama » – pour Dignité – comme joliment baptisé par un homme politique tunisien) ne coûterait que 2 à 3 % de ce qu’a coûté la réunification allemande et à peine un à deux mois de guerre en Irak ! Une broutille, en somme.

Mais certains argueront que les pays riches ne le sont plus (la faute à la crise) et puis qu’avec ces « Arabes » on ne sait jamais, mieux vaut attendre de voir s’ils ne vont pas nous élire quelques barbus infréquentables.

Pourtant, Stiglitz et ses compères ont tout prévu : « Nous avons la responsabilité collective de faire en sorte que cette transition réussisse pour prouver que la coopération économique est la meilleure barrière contre les extrémismes », insistent-ils. Seront-ils entendus ?

Barack Obama – qui a toujours eu le sens du timing – a pris les devants : dans un beau discours, il vient de promettre monts et merveilles à la Tunisie (et à l’Égypte aussi, d’ailleurs). Yes, he can, mais « le vendeur de rue de Sidi Bouzid » (je cite) fait-il vraiment partie de ses priorités ? On peut se poser la question car on se souvient qu’au Caire en 2009, il avait aussi fait sensation : deux ans plus tard, qu’en reste-t-il ? Pas grand-chose.

Alors, wait and see…

C’est ce qu’a dû se dire également notre Sarkozy national en recevant à l’Élysée le très vénérable (et néanmoins fringuant) Premier ministre tunisien. Paroles aimables, là encore, promesses de soutien indéfectible, comme il se doit entre « amis ». Sauf qu’à la première occasion de manifester concrètement sa solidarité, par exemple en recevant à peu près correctement les quelques milliers de Tunisiens de Lampedusa, la France s’est fermée comme une huitre frileuse. Dans le même temps, à la frontière tuniso-libyenne, plus de 300.000 réfugiés ont été accueillis dignement (et continuent à l’être !).

Je sais que j’y reviens encore et toujours, mais si la politique étrangère de la France est désormais indexée sur les sondages de Le Pen fille, autant le dire tout de suite. Remarquez, c’est ce qu’a sans doute expliqué Guéant lors de sa récente visite à Tunis…

En tout cas, tout ce cirque ne peut profiter qu’aux bas du plafond d’ici et de là-bas : les premiers sont ravis de hurler à l’invasion, histoire de picorer quelques voix (croient-ils), quant aux seconds, ils ont beau jeu de pointer le mépris abyssal dont fait décidément preuve « l’Occident ». Résultat, en Tunisie, on ne peut plus parler de laïcité sans se faire traiter de mécréant tant le concept a été dévoyé.

Pour sauver les meubles, certains « progressistes » un peu mous donnent des gages : il est de bon ton de claironner haut et fort son identité arabo-musulmane et d’affirmer illico qu’il ne faudra pas manquer de la réinscrire dans la nouvelle Constitution. Exit les Berbères, les Carthaginois, les Romains, les Turcs et j’en oublie ?

Qu’on nous lâche donc les babouches avec « l’authenticité » et nos ancêtres les Arabes (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?) ! Moi, ma tunisianité, c’est la chakchouka, un savant mélange poivrons, tomates, oignons et harissa. À chacun sa recette.

Et si le G8 voulait bien y rajouter quelques milliards en guise de dessert, je ne verrais aucun inconvénient à ce que l’on offre le thé à la menthe à Obama et même à Sarkozy, sans oublier Stiglitz, bien entendu…J’en connais un excellent à Hammamet. D’ailleurs, comme dirait mon ami le ministre du Tourisme tunisien (qui se donne beaucoup de mal en ce moment et que je salue au passage), la mer y est probablement plus chaude qu’à Deauville…

Un commentaire

  1. Merci pour ce billet plein de bon sens et d’humour.
    Quand il est question de Tunisianité pour parler d’identité nationale, j’adore l’image de la chakchouka car effectivement il y a autant de recettes que de cuisiniers. Nous avons tous des parcours divers et j’espère que nous sommes tous attachés à cette nouvelle Tunisie en construction.

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