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Premiers jours et premiers combats à l’Assemblée nationale constituante

Par Sélim Ben Abdesselem et Karima Souid,

Députés Ettakatol France 1 et France 2

Premiers pas, premiers votes, premiers textes, premiers amendements, premières prises de parole, premières interviews et… premières confrontations. Ces deux premières semaines à l’Assemblée nationale constituante (ANC) ont été riches d’événements et d’enseignements pour les 217 députés parmi lesquels nous avons l’honneur de figurer grâce aux suffrages des Tunisiens de France et de la formidable campagne menée par nos militants deux mois durant.

Le premier jour, les députés avaient été classés dans l’hémicycle selon l’importance des groupes en partant de la droite du Président, le doyen d’âge, assisté des deux plus jeunes (une femme et un homme, tous deux d’Al Aridha). Cela donnait donc : Ennahdha, CPR, Al Aridha, Ettakatol, PDP, puis PDM, Afek Tounès, PCOT et tous les autres. L’anecdote retiendra qu’on s’est rendu compte après déjeuner qu’une erreur avait été commise sur l’âge du plus jeune député et que le président s’est trouvé contraint d’interrompre son discours après de vives critiques formulées contre l’initiative citoyenne du « Parlement parallèle » et contre l’UGTT. La première salve a été tirée par un jeune et bouillant député PDP, auquel ont emboîté le pas plusieurs autres élus, dont Khémaïs Ksila pour Ettakatol, jusqu’à contraindre Moncef Marzouki, chef du CPR, le parti du doyen d’âge, à demander à celui-ci de quitter la tribune. Ambiance tendue pour une première séance.

S’ensuivra l’élection attendue et sans accroc de Mustapha Ben Jâafar à la tête de l’Assemblée par un score dépassant de huit voix le total de celles de l’entente tripartite. L’histoire retiendra l’émouvante poignée de main avec Maya Jribi, sa concurrente lors de ce scrutin et l’invitation surprise du nouveau président demandant à celle-ci de prendre la parole après son discours inaugural. Une belle image, suivie d’un beau geste et d’une belle réplique.

Sans plus de surprise, les vice-présidents Ennahdha et CPR seront élus dans la foulée, repoussant à plus tard l’élargissement du bureau de l’Assemblée et des bureaux de ses commissions aux autres groupes. Un geste politique dont la logique de « renvoi d’ascenseur » pouvait paraître limpide à certains, mais manifestement pas à tous. Nouvelle révélation des surprises de la démocratie avant de lever cette première séance. Source de tensions.

Le lendemain, dans une atmosphère toujours tendue du côté d’Ettakatol et du CPR à la suite des incompréhensions suscitées par le vote de la veille, les groupes désignent leurs représentants dans les deux commissions du règlement intérieur de l’ANC (RI, dont Sélim Ben Abdesselem) et de la répartition temporaire des pouvoirs publics (RP), dont la mise en place est prévue pour l’après-midi même en présence du Président de l’ANC et de ses deux vice-présidents.

Après déjeuner, première réunion et premier accroc avec Ennahdha en commission du RI ! La raison : un accord passé sur l’attribution des postes du bureau prévoyant de donner la présidence de la commission à Ennahdha, la vice-présidence à Ettakatol, le rapporteur au CPR et, un dernier poste de rapporteur adjoint aux autres partis. Et, surprise : Ennahdha présente une candidate, le PDP en présente un et Al Aridha aussi : la cause était entendue, la candidate d’Ennahdha sera élue avec les voix du CPR, les deux élus Ettakatol votant pour le PDP soutenu par un élu d’extrême-gauche, une Moubedra, un PDM et un Afek Tounès. Vive réaction au nom des élus Ettakatol, affirmant que le refus de laisser une place aux minorités était contraire à notre conception de la démocratie et que nous ferions tout à chaque étape pour que chacun trouve sa place. Il est demandé, de surcroît, que les noms et les votes des élus soient mentionnés au compte-rendu. L’atmosphère est tendue.

Mais ce « clash » ne sera pas inutile comme en témoigne la suite des événements : dans l’autre commission, mise en place peu après, en présence du Président de l’ANC et de ses deux vice-présidents, Ennahdha, qui avait présenté une candidate au poste de rapporteur adjoint, lui demande de se désister, ouvrant la voix à l’élection d’un élu du PCOT. Première victoire ? Peut être. Cet événement a aussi contribué à montrer de manière claire à ceux qui en doutaient encore ou qui en étaient arrivés à douter, qu’au-delà de l’accord tripartite, Ettakatol avait affirmé quel était son camp. Geste nécessaire et salutaire.

Le soir, à une émission de télévision sur Nessma, les invités enfoncent le clou : les deux membres PDP et PDM de la commission dénoncent la manœuvre d’Ennahdha, avant que Khmaïs Ksila ne rappelle la position des deux élus Ettakatol, amenant les deux autres invités à confirmer cette version des faits. Opération clarification en partie réussie.

Le lendemain, cet incident et ses suites médiatiques ont fait le buzz et sont vus par Ennahdha comme une tentative de certains de casser l’entente tripartite. Ne leur en déplaise, il est réaffirmé au président de la commission RI que nous ne reculerons pas sur la défense de nos principes, avant de l’exprimer sur plusieurs radios. Les travaux des commissions reprennent donc dans une atmosphère de guerre larvée, accentuée dans la commission du RI par la remise d’un document de 364 articles et 61 pages, présenté par son président comme issu de l’accord tripartite ! Surprenant pour le moins lorsque l’on sait que les commissions mises en place par les trois partis de l’entente avant l’installation de l’ANC n’ont pas abordé la question du RI ! Cerise sur le gâteau, prenant prétexte d’une situation réellement tendue à Gafsa qui interdirait à l’ANC de traîner pour l’adoption des deux textes, le président de la commission demandait à ses membres de lire ce document en… une heure et demi et de reprendre les travaux ! Devait-on y voir une tentative de passage en force ? C’est en tout cas ce qui sera dénoncé par plusieurs membres de la commission, y compris deux des trois élus CPR. La séance de travail est reportée au lendemain matin 9h, le temps de travailler ce projet. Réactivité salutaire.

Le matin, chacun ou presque avait profité de la soirée de la veille pour décortiquer le document, en débusquer les pièges, formuler des propositions alternatives et en recenser les points positifs (parce qu’il y en avait aussi). Impression : un véritable travail de professionnel fait par des juristes rigoureux de haut niveau où chaque mot bien compris révélait précisément l’objectif politique poursuivi.

Pendant les jours qui suivront, un travail collectif toujours plus poussé se mettra en place et les élus Ettakatol se retrouveront le plus clair du temps du même côté que leurs alliés de la veille, rejoints de plus en plus par deux des trois élus du CPR, faisant même apparaître des fissures dans le camp d’Ennahdha, celles-ci étant suffisamment rares pour être remarquées. Sur les principaux points de cristallisation, le président de la commission du RI prend intelligemment le parti de ne considérer le vote que comme indicatif et de repousser ceux-ci à la discussion en séance publique, alors que son homologue de la commission RP ne retenait que la proposition majoritaire à l’issue du vote. Principaux points de frictions dans les deux commissions : la censure à la majorité des 2/3 pour les 3 présidents (du Gouvernement, de la République et de l’ANC) et le cumul des fonctions de membres de l’ANC et du gouvernement. Le premier point n’est pas tranché dans la commission du RI, mais le principe proposé sera avalisé dans l’autre après d’âpres débats. Sur l’autre point, c’est l’égalité parfaite en commission du RI alors que le principe du cumul est avalisé dans l’autre sauf pour le Président de la république et le Chef du Gouvernement. Débats ardus en perspective en séance publique. Enfin, la commission du RI a accordé une place aux minorités dans le bureau de l’ANC, mais Ennahdha s’oppose à une limitation du nombre de présidences de commissions par groupe parlementaire qui aurait ouvert la voie à des présidences accordées aux minorités. Mais alors que la commission RI achève ses travaux, celle de la RP les prolonge en raison des désaccords entre ses membres sur l’équilibre des pouvoirs. Nos 2 députés de l’Ariana et de Jendouba (Mouldi Riahi et Said Menchichi) forcent l’admiration en se battent sans relâche pour porter les décisions du groupe parlementaire Ettakatol. Un rééquilibrage est finalement obtenu, notamment au profit du Président de la République. Combats utiles avec prolongations en perspective.

Entre temps, des salafistes avaient occupé les locaux du doyen de la faculté des lettres de la Manouba, non loin du Bardo, siège de l’ANC, demandant la levée de l’interdiction du port du nikab lors des examens et l’attribution d’une salle de prière. Des délégations d’Ettakatol et du PDM s’y rendent pour une assemblée générale des enseignants et des étudiants mobilisés par leurs syndicats UGTT et UGET et constatent, ici aussi, une atmosphère très tendue.

Le lendemain et le surlendemain, les enseignants et les étudiants se retrouvaient pour manifester devant l’ANC et recevaient une nouvelle délégation pluraliste à la faculté de Manouba (dont deux députés Ennahdha, aux côtés d’Ettakatol, du PDP, d’Afek Tounès, du PDM et du PCOT, seul le CPR n’y était pas représenté). Des discussions avec les salafistes, dont la plupart n’étaient pas étudiants de la faculté, montre qu’ils n’étaient pas décidés à céder. D’ailleurs, surlendemain soir, des salafistes débarquaient au Bardo face aux premiers manifestants. Inquiétant.

Entre temps, la séance publique pour l’examen des textes sur le RI de l’ANC et la RP ont été convoqués pour mardi 6 décembre, alors qu’a été publié le projet de budget pour l’année 2012 (à voter avant le 31 décembre). Bonne fin d’année en perspective avec comme résolution de commencer le débat sur la Constitution début 2012 après avoir tracé le cadre nécessaire !

 

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