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La liberté d’expression devrait-elle s’arrêter aux postes de la sacralité ?

Point de vue de Sami ABDENNADER, membre du FDTL publié dans le journal La Presse de Tunisie le 05/07/2011

Les graves incidents, qui se sont déroulés dans une salle de cinéma de Tunis le 26 juin dernier, n’augurent rien de bon pour l’avenir de la Tunisie sur le plan social. Ils prouvent que la violence est latente et que toute manifestation artistique, ou autre, comporte un risque de représailles de la part de certains fanatiques, dès lors qu’elle heurte leur sensibilité. Ils nous rappellent les tristes moments de notre histoire comme l’attaque au vitriol des estivants dans les années 80.

D’autre part, le laxisme des agents de sécurité laisse perplexe. Il s’inscrit dans un contexte social particulier caractérisé par la persistance de l’instabilité. Il est temps que certains citoyens, heureusement minoritaires, cessent de confondre une noble révolution avec le début de l’anarchie.
Enfin, ces incidents posent la question des limites qu’imposent notre religion et notre société aux manifestations des libertés d’expression. En effet, à quoi sert-il de heurter toute une frange de la polulatoin en calmant haut et forts son athéisme ? Autant la religion doit rester dans la sphère de la vie privée et ne pas interférer avec la sphère politique, autant les croyances et leurs manifestations doivent rester personnelles. Le respect de notre religion et de nos citoyens doit primer par rapport aux tentatives de porter la liberté d’expression au-delà de ce qui est acceptable. Bien sûr, en tant que musulman, j’ai été choqué par la publication des dessins satiriques danois, portant atteinte à l’image de notre Prophète. De même, je suis choqué par le slogan «Ni Allah, ni maître» affiché sur des tee-shirts. A mon avis, mais le débat reste ouvert, la liberté d’expression devrait s’arrêter aux portes de la «sacralité». Ce n’est pas en provoquant, par des propos ou des actes impies qu’on défend la laïcité. A l’époque, Bourguiba a eu tort de boire en public en plein de mois de Ramadan… pour donner l’exemple. Une même «mouche provocatrice» semble avoir piqué l’illustre historien et authentique démocrate Mohamed Talbi, qui a évoqué lors d’un débat radiophonique un fait inédit concernant la vie privée du Prophète.
Comme l’écrit Isabelle Mandraud (Le Monde du 29/06/11) les artistes (et aussi écrivains) seraient-ils en danger ? A cette question je répondrai par l’affirmative. Les agressions du cinéaste Nouri Bouzid il y a quelques semaines et des militant(e)s du collectif Lam Echaml le 26 juin sont là pour en témoigner. Serait-ce un avant goût de ce que nous réserverait l’avenir si les islamistes prenaient le pouvoir en Tunisie ? On pourrait me rétorquer qu’il y a les islamistes qui peuvent être démocrates et pacifistes à l’instar des militants turcs de l’AKP, et que les violences sont l’apanage d’intégristes radicaux. Mais je demande à voir, car les débordements et les excès sont toujours possibles. Il faudrait toujours garder en mémoire le fait que les artistes et les écrivains ont été la première cible lors de la période tragique vécue par nos voisins algériens.

Auteur : S.A. (Docteur en médecine)

 

4 plusieurs commentaires

  1. Pourquoi certains auraient-ils le droit de se clamer musulman quand d’autres n’auraient pas le droit de clamer leur athéisme? Quand on appelle à limiter la liberté d’expression pour certaines idées, on appelle à brader la liberté d’expression. Le croyant musulman ou juif ou chrétien doit être respecté comme le non-croyant. Et les croyants comme les non-croyants doivent accepter la liberté d’expression et de critique. Vous êtes profondément croyant et c’est votre droit mais n’obligez pas les autres à être comme vous. Face à une idée qui ne nous plaît, vaut mieux user la raison que la censure ou la violence(ça c’est pour les intégristes c’est pas pour vous).

  2. Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

    « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »

  3. Merci pour vos commentaires. Ce que j’ai écris n’est pas incompatible avec l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme que vous citez. Ce que je voulais dire, et que vous avez il me semble mal interprété, c’est que dans le contexte actuel tunisien, il incombe à chaque citoyen (qu’il soit croyant ou pas) d’avoir une responsabilité morale en évitant « de jeter de l’huile sur le feu ». Je persiste et signe en affirmant que la cinéaste en question, respectable par ailleurs, pouvait s’abstenir de clamer à cor et à cri son athéisme lors d’une interview. J’ai pu réaliser, en me rendant récemment en Tunisie, que ce que j’ai écris a rencontré l’approbation de la majorité des citoyennes et citoyens avec qui j’ai discuté. Toutefois, tout débat ne peut qu’être enrichissant, pour peu qu’il soit exempt de toute violence verbale.

    Sami ABDENNADER

  4. J’ai constaté comme toi qu’il y a beaucoup de gens en Tunisie qui ont été choqués par le fait que la cinéaste affiche son athéisme.
    Ceci étant je voudrais apporter un petit bémol: pour part si Nadia Elfani fait le choix de déclarer publiquement son athéisme c’est son droit le plus absolu et je ne vois pas en quoi un fait aussi mineur puisse soulever autant de polémiques. Si on veut à terme bâtir une Tunisie ouverte et pluraliste, l’acceptation de l’autre avec toutes ses différences doit pour nous être une règle minimale à respecter.
    Ceci étant je reste optimiste car c’est en marchant que l’on apprend à marcher.

    Wahbi

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