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Pourquoi faut-il élire l’Assemblée constituante à la proportionnelle ?

Article paru dans La Presse du 29 mars 2011

Par Sélim BEN ABDESSELEM (Avocat tunisien exerçant à Paris. Secrétaire général adjoint du FDTL-France)

Le choix du mode de scrutin par lequel sera élue l’Assemblée constituante de la République Tunisienne le 24 juillet 2011 représente une question cruciale. Eu égard au contexte propre à la Révolution tunisienne, dont ressort un besoin pour chacun de pouvoir être entendu, plusieurs raisons plaident en faveur du choix du scrutin de liste proportionnel et du rejet du scrutin majoritaire.
La proportionnelle est, il est vrai, souvent décriée par les partisans du scrutin majoritaire uninominal en ce qu’elle favoriserait l’éparpillement des voix, donnerait un rôle clé aux petits partis bien au-delà de leur poids réel et ne permettrait pas l’émergence d’une majorité stable pour gouverner. Parallèlement, le scrutin majoritaire est présenté comme garantissant la constitution d’une majorité stable pour une législature, fût-ce au prix de l’élimination des formations d’importance moyenne et d’une sur-représentation des (deux ?) partis dominants. Ce système en vigueur aux Etats-Unis, en France ou en Grande-Bretagne a pour effet d’exclure du Parlement des formations d’importance non négligeable, voire de les rayer de la carte politique, sauf au prix d’alliances avec les partis dominants.
Ce système est-il adapté au contexte de la démocratie naissante en Tunisie ? Rien n’est moins sûr. De plus, s’agissant de l’élection d’une Assemblée constituante, la proportionnelle présenterait bien moins de risques que d’avantages.

Ne pas déposséder les électeurs de leur vote dans une première expérience démocratique

En effet, cette première expérience démocratique que connaîtra la Tunisie serait enrichie par un débat auquel pourraient prétendre participer le plus grand nombre de familles politiques ayant prouvé une certaine représentativité, sachant que nombre de «micro-partis» risquent fort de se retrouver «hors course» faute de militants, de réseaux, d’expérience et de financement. Cette expérience serait sans doute considérablement appauvrie si ce débat se réduisait à une confrontation entre une majorité et une opposition quasiment monocolores.
Les électeurs doivent donc pouvoir espérer se reconnaître dans la future Assemblée constituante en y retrouvant les représentants du courant de pensée pour lequel ils auraient voté.
Or le scrutin majoritaire ne laisserait aucune chance à une large représentation du paysage politique et risquerait fort de frustrer les électeurs de formations minoritaires.

L’effet «confiscatoire» du scrutin majoritaire

Le scrutin majoritaire, par l’effet amplificateur de la sur-représentation des partis dominants, risque aussi d’aboutir à un monopole de la représentation en faveur de quelques grandes formations, voire d’accorder une majorité «artificielle» à la formation arrivée en tête.
Si un seul parti venait à obtenir la majorité, il aurait alors le pouvoir de décider seul du contenu de la future constitution ! Et, si tel n’était pas le cas, une alliance avec quelques forces d’appoint serait suffisante. Mais cette majorité en sièges à l’Assemblée ne représenterait pas pour autant une majorité en voix dans le pays. Le sentiment de confiscation serait alors justifié et pourrait donner lieu à contestation quant à la légitimité de la Constitution adoptée.
Si certains peuvent s’inquiéter de l’identité de la formation qui arriverait en tête du scrutin, il y a là surtout une question de principe à ne pas laisser la représentation nationale confisquée par le seul effet du mode de scrutin. Avec la proportionnelle à un seul tour, chaque famille politique serait ramenée à son poids réel dans l’opinion sans qu’il ne soit artificiellement augmenté.

Un scrutin proportionnel avec apparentement de listes, adapté au contexte tunisien

Mais, quel que soit le mode de scrutin retenu, le problème posé par le nombre élevé des partis en lice demeurera. Il serait alors souhaitable que se constituent des coalitions. Toutefois, les partis susceptibles de s’allier ne pourraient le faire qu’en tenant compte de leur poids électoral respectif en vue d’établir des listes ou des candidatures communes, donnée qui est aujourd’hui inconnue. En conséquence, il est fort probable que chacun veuille « se compter » lors de ce premier vote, quitte à constituer des blocs cohérents une fois l’Assemblée élue.
A cette intention, il peut être envisagé que des listes se déclarent «apparentées» avant le scrutin, notamment si l’élection de la constituante était suivie de la constitution d’un gouvernement d’union nationale dans lequel serait appelé en priorité au poste de Premier ministre le chef de file de la liste ou de la coalition arrivée en tête.
Ce système clarifierait surtout le choix des électeurs avant le vote, en leur indiquant quelles alliances seraient susceptibles de se nouer après.

La proportionnelle, meilleure garantie de pluralisme, de mixité et de diversité

Se pose aussi la question de la place des femmes dans la future Assemblée, alors que le symbole d’un gouvernement de transition ne comptant que deux femmes est particulièrement décevant. Or toutes les expériences démontrent que le scrutin majoritaire aboutit très souvent à une sous-représentation des femmes, alors que la proportionnelle favorise un réel équilibre femmes/hommes. La Tunisie risquant fort de ne pas faire exception à la règle, le scrutin de liste apparaît comme un impératif.
Quant aux circonscriptions, elles devraient correspondre aux «môotamadiat» plutôt qu’aux gouvernorats, afin d’assurer une juste représentation de l’ensemble des zones du pays.
Le risque d’éparpillement des voix pourrait aussi être évité par l’imposition d’un pourcentage minimal conditionnant l’obtention de sièges et le remboursement des frais de campagne, à condition que ce seuil soit appliqué à l’échelle des circonscriptions et non au niveau national, afin de ne pas pénaliser des listes à connotation locale ou indépendantes.

Un large consensus, clé de l’acceptation et de la légitimité d’une Constitution

Enfin, à l’objection d’un manque de stabilité d’une Assemblée élue à la proportionnelle, rappelons que la future Assemblée constituante aura pour mission première de rédiger une Constitution et que, même si des pouvoirs législatifs lui seront sans doute attribués, la recherche d’une majorité stable n’apparaît pas comme une nécessité première si un gouvernement d’union nationale est constitué.
La rédaction d’une Constitution est d’ailleurs une œuvre qui, par essence, aurait vocation à être consensuelle. Du moins, la loi suprême de la 2e République Tunisienne serait sans doute d’autant mieux acceptée par le peuple tunisien si elle recueillait l’assentiment du plus grand nombre de familles politiques.
Aussi, pourquoi craindre un débat dont la Tunisie a plus que jamais besoin alors qu’elle n’a jamais connu la démocratie 55 ans après son indépendance ? Si le choix du scrutin de liste proportionnel représente l’outil le plus adapté à l’atteinte de cet objectif, il s’agit-là d’une nécessité démocratique en ce moment historique que connaît la Tunisie.

 

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