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Droits des femmes « Tunisie, éclaireur des démocraties émergentes »

Droits des femmes – Tunisie, éclaireur des démocraties émergentes
Par Karima Souid*, députée Ettakatol France Sud

Karima Souid

Mesdames, tous mes compléments …
La complémentarité m’a tellement taraudée, m’a tellement perturbée que je me suis imposée d’en analyser la démarche sous l’angle des libertés et sous l’angle juridique. Deux perspectives tellement « complémentaires », à mon avis.
Qui dit complémentarité, dit existence de deux sous-ensembles dont le grand ensemble est le couple et la famille. Par cette notion de complémentarité, la femme est donc perçue comme étant dépendante de son époux ou pire encore pour la femme célibataire, dépendante de son père, de son frère ou de son fils comme c’est le cas dans les modèles wahhabites. Dans un moment crucial où la Tunisie doit envoyer des signaux au monde d’un pays libre et libéré, d’un éclaireur des nouvelles démocraties émergentes en matière de liberté, la notion de complémentarité pose le risque d’un retour en arrière.
Au lieu d’avancer, au lieu de briser ses chaînes, la femme se trouve au contraire enchaînée par son complémentaire ou son « complémenté». Cette notion de complémentarité telle qu’elle est présentée implique ou induit une relation de subordination. Les défenseurs de la complémentarité récusent cet argument. Je ferai un pas vers eux en leur demandant alors de constitutionnaliser dans le même article le principe miroir de « l’homme complémentaire de la femme ». Leur réponse sera probablement négative car ils savent pertinemment que juxtaposer « la femme complémentaire de l’homme » à «l’homme complémentaire de la femme » implique mathématiquement que «la femme est l’égale  de l’homme». Or l’article 22 de la commission constitutionnelle Droits et libertés, dispose déjà clairement du principe d’égalité parfaite entre tous les citoyens. Ainsi, cette complémentarité n’est qu’une simple restriction qui va à contre courant de la dynamique historique de l’égalité des genres en Tunisie. Dynamique amorcée depuis la fin du 19e siècle, portée courageusement et sans relâche par des penseurs et philosophes aussi illustres que Tahar Haddad, et dont le point  d’orgue est la promulgation du CSP en 1959.

Point de libertés sans sécurité juridique

D’un point de vue juridique, cette notion de complémentarité est dangereuse car non définie juridiquement. Cette absence de définition laisse la porte ouverte à toutes les interprétations doctrinales et jurisprudentielles. Tout ceci représente une dangereuse source d’insécurité juridique à un moment très chahuté de la vie de notre pays.
Seule une constitution lisible est en mesure d’atténuer les risques d’interprétations multiples et rétrogrades. Ainsi, point de libertés sans sécurité juridique. Et point de démocratie sans libertés.
La notion de complémentarité représente à mon avis une menace à la construction de cette démocratie à laquelle nous continuons légitimement (et naïvement) à aspirer.
Les femmes martyres de la Révolution du 17 décembre 2010 telles que Manel Bou Allegui (Allah yarhamha ) ne sont pas mortes en compléments mais en sujets libres. Ces femmes sont tombées sous les balles de Ben Ali et de son complément.

* Article paru le 13 Août 2012 dans le Journal La Presse de Tunisie

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