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Migrants tunisiens : les questions qu’ils nous posent

Article paru le 26/05/2011 dans le journal La Presse de Tunisie, publié par Fatma Dellagi, Psychiatre, membre du FDTL-France

D’abord, il y a eu la faute diplomatique : tandis que les Tunisiens luttaient pour la liberté, la France envisageait de soutenir leur dictateur en renforçant la répression. Ensuite, il y eut ceux qui voulaient remettre à la mer les rescapés. Maintenant que quelques-uns sont arrivés en France au péril de leur vie, ils sont accueillis dans les commissariats de police de notre République des Droits de l’Homme. Ils sont en état de précarité physique et psychique, ils sont affamés et affaiblis. Ces hommes sont choqués car ils ont vu mourir en mer leurs camarades et cela semble ne susciter aucune humanité chez les dirigeants français. Au même moment, la jeune et encore fragile démocratie tunisienne accueille plus de 300.000 réfugiés de Libye ( rapporté à la population, cela représente la charge d’un million en France). La Tunisie estime devoir une solidarité sans faille à un voisin en crise. À l’inverse, les piètres réactions françaises qui trahissent de sordides calculs électoralistes laissent pantois. Personne n’est assez dupe pour croire que ces quelques migrants tunisiens auraient eu, à eux seuls, le pouvoir de faire vaciller le sacro- saint espace Schengen. De l’autre côté de la Méditerranée, le constat est désolant. Les petites villes du Sud de la Tunisie sont vidées de leurs jeunes gens et pleurent leurs enfants disparus.

Cette séquence post-révolutionnaire nous interroge sur le partage de notre mer commune devenue cimetière. En effet, des images terribles hantent encore nos mémoires comme celles de survivants africains extraits de la houle au large de Lampedusa. Les moins chanceux ont succombé, et leurs corps viennent d’ être recueillis sur les côtes du Sud de la Tunisie. Non, ce n’est pas une question légère. Seuls l’urgence, l’humanisme et le réalisme économique doivent guider les décisions des responsables des deux rives afin de mettre un terme à ces drames, ou bien nos enfants nous reprocheront notre passivité.

Pourquoi, alors qu’ils viennent de conquérir leur liberté, ces Tunisiens quittent-ils un pays qu’ils pourraient reconstruire ? De multiples explications nous ont été apportées. Une seule cependant reste inexprimée : celle de la libre circulation des personnes. Cela semblerait un pavé jeté dans la mare du politiquement correct. À droite comme à gauche, cette notion relève au mieux d’une utopie, au pire d’une inadaptation politique. Pourtant, c’est bien un des nœuds du problème.

Et il revient aux Etats d’organiser cette liberté.

«Des visas, des visas !», scandaient les Algériens lors d’un déplacement de Jacques Chirac à Alger. Tous les Maghrébins les réclament, eux qui se sentent emprisonnés et rêvent d’un ailleurs et en tout premier lieu d’Europe. Il ne s’agit pas forcément d’y vivre, mais plus simplement de pouvoir aller voir ailleurs, de respirer un autre air, celui qui souffle en permanence sur tous les écrans de leurs télévisions. Même affranchis des dictatures, ces citoyens n’en demeurent pas moins suspects et privés d’une des libertés les plus fondamentales, celle d’aller où ils le souhaitent.

Pour autant, la sanctuarisation de l’Europe ne les dissuade pas. Et l’instrumentalisation abjecte de notions erronées sur les mouvements migratoires illustre bien nos crises politique et morale. Les récents rapports ( ONU, HCR) et les travaux de Catherine Wihtol de Wenden montrent bien, pourtant, que fermer les frontières est un contresens à l’heure d’une mondialisation accélérée. Ils nous apprennent que les déplacements des populations ne sont pas uniquement définitifs, mais peuvent être transitoires. Que le plus gros des mouvements migratoires se font entre pays du Sud et non «massivement» vers le Nord. Que oui, l’Europe a besoin dès aujourd’hui d’immigration. Et que, oui, l’immigration rapporte aux pays d’origine autant qu’elle rapporte aux pays d’accueil.

Il est temps d’être en phase avec son époque et de briser la tragique frontière qui sépare le monde en deux : celui des passeports rouges, ceux des pays occidentaux qui ouvrent toutes les portes du monde, et les autres, les passeports verts qui obligent à passer par l’attribution d’un visa réservé aux plus fortunés.

 

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