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En direct de l’ANC

Par Sélim Ben Abdesselem, et Karima Souid,
députés des circonscriptions France 1 et 2

Un an après la chute de la dictature, la Tunisie a élu une Assemblée nationale constituante (ANC) qui s’est mise au travail et dispose d’un président de la République et d’un Gouvernement légitimés par l’élection. Mais toutes les causes qui ont conduit le jeune Mohamed Bouazizi à s’immoler et qui ont mené à la Révolution sont encore là : inégalités régionales, chômage, pauvreté, absence d’avenir pour de nombreux jeunes. Les nombreux mouvements sociaux, quelque soit l’appréciation que l’ont peut en faire, rappellent à nos dirigeants l’urgence de la situation.

Sur ce terrain économique et social qui dépend maintenant de l’action du Gouvernement, laissant à l’ANC le soin de se consacrer principalement à la rédaction de la Constitution pour que celle-ci soit achevée d’ici un an, chacun sait que nous n’avons pas droit à l’erreur et que bien des réformes ne peuvent attendre. Si toutes les demandes ne peuvent être satisfaites immédiatement, on ne pardonnerait pas à ce Gouvernement de ne pas s’être attelé dès à présent à lancer les bases des mesures les plus urgentes.

C’est pour cela que la Tunisie avait besoin rapidement d’un Gouvernement stable et qu’Ettakatol a décidé d’y participer, malgré tout les réserves que pouvaient inspirer une « cohabitation » au sein d’une coalition gouvernementale avec Ennahdha, aux côtés du CPR. Mais, il est bon de le rappeler, cette participation n’engage aucune alliance entre ses partenaires sur l’élaboration de la Constitution, ni sur des scénarios de futures alliances électorales (dont la décision appartient aux partis et à leurs militants !) et ne revient aucunement à donner un chèque en blanc à qui que ce soit. La démonstration en a été apportée avec la récente affaire des nominations de responsables d’organes de la presse écrite auxquelles le chef du Gouvernement s’était senti autorisé de procéder seul, reproduisant de funestes pratiques dignes de l’ancien régime.

A cette occasion, Ettakatol, en tant que partenaire de la coalition gouvernementale a confirmé le rôle de gardien des libertés qu’il entendait y jouer, en dénonçant ce procédé sans la moindre ambiguïté, en exigeant du chef du Gouvernement qu’il se rétracte et en mettant dans la balance la démission de ses ministres. Le message était clair : pas de maintien des ministres d’Ettakatol au Gouvernement sans un strict respect de nos valeurs. Cette première affaire a aussi confirmé un autre point positif : la démocratie prend forme avec une société civile vive et réactive et des journalistes tenant à leur indépendance. Chacun de ceux qui se sont élevés contre ce coup de force, devront encore unir leurs efforts pour mettre fin à d’autres dérives telles que l’interdiction récente d’entrée en Tunisie de certains journaux étrangers (comme sous l’ancien régime !) et de pousser les nouveaux ministres de l’intérieur et de l’enseignement supérieur à prendre leurs responsabilités pour mettre fin aux agissements hors-la-loi de groupes salafistes venant perturber le fonctionnement de nos universités ou décidant de « faire leur loi » dans la localité de Sejnane. C’est à ces exemples qu’on mesure le prix des libertés.

Enfin, d’autres séquences significatives ayant animé les débats de l’ANC sur son futur règlement intérieur ont également retenu l’attention. Ainsi, à la fin de la semaine dernière, un bras de fer de plusieurs heures s’est engagé entre Ennahdha et un bloc formé de la quasi-totalité des autres groupes, dont l’enjeu résidait en la désignation du président d’une commission destinée à chapeauter et coordonner les travaux de l’ensemble des commissions de l’ANC chargées de la rédaction de la Constitution, Ennahdha voulant confier ce poste stratégique au rapporteur général de la Constitution (qu’elle espère issu de ses rangs) et refusant catégoriquement la proposition d’Ettakatol soutenue par l’autre bloc et visant à donner cette responsabilité au président de l’ANC en vue de garantir une réelle impartialité. La solidité de ce bloc englobant Ettakatol, l’essentiel du CPR, le PDP, le PDM, Afek Tounès, le PCOT, d’autres petits partis et indépendants et une bonne partie des élus issus d’Al Aridha, a finalement conduit à faire repousser d’une semaine le vote sur ce point sensible, évitant ainsi un passage en force d’Ennahdha et de ses soutiens recrutés sur d’autres bancs.

Cet épisode est lourd d’enseignements pour l’élaboration de la future Constitution : les débats seront ardus, les votes seront serrés, la division du bloc « moderniste » lui serait fatale et seule une présence assidue de ses élus et leur unité pourront garantir l’adoption d’une Constitution à l’image de nos valeurs.

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