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Hella Ben Youssef Ouardani : «Femme en soi et pour soi»

La-Femme (Femme en soi et pour soi) – Depuis l’indépendance de la Tunisie en 1956, l’Etat s’est employé à améliorer la situation de la femme, en adoptant des mesures en vue de réduire les inégalités de genre dans la société. Les droits des femmes ont ainsi connu en Tunisie une avancée remarquable.

De très nombreuses études et enquêtes ont été conduites depuis près d’une décennie sur la femme en milieu rural. Elles se recoupent largement et convergent toutes vers un ensemble d’observations récurrentes qui ont valeur d’enseignement.

Avant tout, Il convient de rendre ici hommage aux militantes et hommes d’état qui ont joué un rôle sociopolitique des organisations féminines en Tunisie depuis l’indépendance ainsi qu’à de nombreux acteurs notamment l’ATFD, Le CREDIF, ONU femmes et plus généralement à tous les acteurs de terrain (structures publiques et associatives) pour tous ce qui a été entrepris depuis plus de 60 ans.

Aujourd’hui, un tiers des femmes tunisiennes vivent en milieu rural, le constat est peu visible il nous incombe alors de réduire leur vulnérabilité, leur dépendance et tout mettre en œuvre pour les accompagner pour acquérir leur besoin d’autonomie économique sociale et culturelle !

En milieu ruralle déséquilibre de genre est encore plus marqué, mais lesdiscriminations subsistent. De fait, les femmes sont davantage touchées que les hommes par le sous-emploi, le chômage, ou la difficulté d’accès aux services sociaux.

Aussi nous devons attirer l’attention sur la prégnance sociale et culturelle qui persisteLe système traditionnel de répartition des tâches selon le genre et le rapport de domination masculin sont encore fortement ancrés dans la société rurale, bien plus qu’en milieu urbain

Le « statut de la femme rurale », ses conditions de vie, son accès au travail, à la consommation, aux services sont largement déterminés par son rapport à l’homme. Elle est assignée successivement au statut de fille, puis d’épouse, puis de mère, mais jamais à proprement parler de « femme en soi et pour soi »

Il faudrait ajouter pour être tout à fait complet, qu’à cette discrimination homme-femme se surajoute une discrimination interrégionale très forte.

Pour rappel, le contexte à grands traits des caractéristiques majeures de la condition de la femme en milieu rural.Elles ont moins de chances à l’alphabétisation, à la scolarisation et à la formation qualifianteLeurs conditions d’existence (habitat, commodités, ressources) sont des plus incertainesLeurs conditions de travail sont marquées par l’extrême précarité (transport, horaires, sécurité).

Elles constituent une main d’œuvre occasionnelle gratuite ou sous rémunérée.Le cadre contractuel quasi inexistant renforce la vulnérabilité de ces femmes. Leurs activités proprement dites sont soumises à une forte pénibilité (physique, psychologique).

Force est de constater, qu’en dépit d’avancées, l’Etat ne semble pas avoir saisi l’urgence de réduire la vulnérabilité et la dépendance de la femme rurale.

De son côté, la société civile ne semble pas non plus jouer un rôle suffisamment significatif, car encore peu de femmes rurales adhérent aux actions associatives pourtant nombreuses.

Les obstacles comme les résistances passives tiennent pour l’essentiel aux conditions de vie : L’éloignement et absence de transport, l’indisponibilité du fait de la double activité domestique et extérieure, l’exclusion des services sociaux et financiers ordinaires, mais aussi aux traditions sociales relatives à la place de la femme… largement intériorisées par elles-mêmes, par ailleurs.

Toutes les études révèlent une à une, de façon récurrente, ces figures de la précarité au féminin,

Notons qu’à travail égal, salaire inégal, les femmes sont rémunérées 30 à 50% de moins que les hommes). Elles sont majoritairement payées au rendement, à la journée. Leur rémunération moyenne en milieu agricole n’excède pas 220 DT (85€) et ceci est un indicateur réel.

Elles sont de plus la proie de réseaux d’intermédiaires non agréés qui jouent le rôle d’agents de recrutement, de transporteurs et de responsables de la paie, réseaux qui enferment cette main d’œuvre rurale, dans le cercle vicieux de la vulnérabilité et de la précarité

Les femmes n’accèdent à la propriété du logement qu’à hauteur de 6%. Elles n’accèdent à la propriété des terres agricoles qu’à hauteur de 1%. Elles sont exploitantes sur des terres louées, seules à hauteur 5% et 13% avec à leur époux. Peu d’entre elles réussissent à venir à bout des obstacles pour monter leurs propres projets (10%), moins de 10% des femmes ont accès au microcrédit.

N’oublions pas non plus la question cruciale de la protection sociale où la majorité des femmes rurales de familles vivant sous le seuil de pauvreté et exerçant une activité bénéficient de facto du programme PNAFN (Programme National d’Aide aux Familles Nécessiteuses). Du coup, Elles ne voient guère la nécessité d’être affiliées à un régime de sécurité sociale1 d’autant que les prestations du PNAFN sont supérieures à celle de la sécurité sociale et qui plus sont gratuites.

L’exigence d’une approche pluridimensionnelle de l’accompagnement est primordiale.

De facto, La loi contre la violence faite aux femmes votée en 2017 outre le fait qu’elle conforte l’arsenal juridique de lutte contre les inégalités de genre ouvre des perspectives et de nouvelles possibilités d’intervention.

En effet, en plus des violences physiques ou sexuelles, cette loi reconnait également les autres types de violences faites aux femmes notamment économiques, sociales et psychologiques.

L’inefficience des politiques publiques de développement et de lutte contre la pauvreté dont sont victimes les femmes rurales (85%), politiques par trop assistancielles et sectorisées, nécessite une remise à plat de la stratégie d’approche.

A titre d’illustration, la femme rurale devrait pouvoir bénéficier d’une approche globale et intégrée à l’instar de certaines institutions internationales qui ont abandonné « la logique de projet » pour « une logique globale de programme ».

Les programmes et structures d’intervention actuels en direction des populations précarisées aussi bien en milieu rural qu’en périurbain buttent désormais sur leurs propres limites : le nombre des familles nécessiteuses recensées dans le fichier national de la pauvreté a atteint 240.000 dont 3/4 en milieu rural et que le nombre des familles à revenu réduit avoisine 640.000 dont les 2/3 également en milieu rural en 2015. Cela qui représente 35% de la totalité des familles tunisiennes.

L’abandon scolaire dépasse le seuil de 110.000 élèves par an (dont 60% en milieu rural)

Il est donc recommandé une réorientation de l’action publique et une nouvelle approche pluridimensionnelle.

Le nouvel Etat doit s’atteler à la réalisation de ses obligations constitutionnelles et internationales. Promouvoir l’accès à un régime de sécurité sociale (santé et sécurité) Accentuer la lutte contre l’intermédiation informellepar le renforcement des prérogatives de l’inspection du travail et des agents de contrôle de la CNSS

Sensibiliser la population, en vue d’une prise de conscience  de la gravité et de l’ampleur des conditions socioéconomiques dramatiques dans lesquelles vit aujourd’hui la femme rurale

L’Etat se doit d’ajuster la législation sociale afin d’y introduire les spécifiques propres aux femmes rurales actives: Réduire notamment l’exposition des femmes aux risques liés aux accidents de travail (5%) et aux maladies professionnelles (15%). 50% d’entre elles ne savent pas si elles sont exposées à un risque. Veiller à ce qu’elles bénéficient d’un réel contrat (la durée du travail journalier, la rémunération et son mode de calcul, les droits à congés et de tirage, l’affiliation à la sécurité sociale). Réorganiser les conditions de transport entre leurs lieux de résidence et leurs sites de travail.

Les axes d’accompagnement dans le secteur du travail intra domestique et extra domestique devront être revus pour aboutir à une plus large autonomie économique et sociale des femmes rurales.

La condition de la femme en milieu rural c’est, –outre son épanouissement-, favoriser le mieux-être de la famille en offrant plus de chances et un meilleur devenir de ses enfants. Mais aussi réduire du même coup la vitesse de l’exode rural forcé.

Pour garantir toutes les chances de réussite, tout effort de développement juste et durable, se doit d’associer pleinement les femmes et les jeunes filles en milieu rurales, en développant et en investissant dans leur autonomisation !

Article paru sur le site lafemme.tn

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