Vigilance

Article paru dans le journal  La Presse de Tunisie le 11 mars 2011

Il en aura fallu du temps pour qu’enfin une feuille de route soit proposée au peuple tunisien ! Près de 2 mois après la fuite du tyran, deux gouvernements de transition et quelques manifestations et sit-in plus tard, la décision politique majeure d’une assemblée constituante élue vient d’être prise. Force est de constater que ce sont, entre autres, les manifestants de la Kasbah qui ont arraché de haute lutte cette promesse tant attendue.
Pour mémoire, ce sont les mêmes qui avaient contraint le Premier Ministre démissionnaire à se débarrasser des caciques de l’ancien pouvoir avant de l’obliger à revoir sa copie suite à la désignation de gouverneurs du RCD, pour enfin obtenir l’agenda politique dont nous venons de prendre connaissance. Respect !

La confiance ne se décrète pas

Sans cette vigilance de tous les instants, qui aurait pu garantir la réalisation effective des objectifs d’une Révolution dont certains, à l’évidence, voulaient minimiser la portée ? Certes, il y a eu de la casse et surtout des morts à Tunis mais qui peut sérieusement en imputer la responsabilité aux manifestants de la Kasbah ? Nul n’ignore que les commanditaires de ces actes graves ne sont pas, loin s’en faut, des soutiens de la Révolution. La justice devra faire son travail pour mettre vite hors d’état de nuire ceux qui fomentent de tels troubles dans le but de créer le chaos et diviser les Tunisiens. Maintenant, il est vrai que le pays a besoin de retrouver une vie normale et de se remettre au travail (pour ceux qui en ont un !) mais n’oublions jamais que la confiance ne se décrète pas. Elle se construit. Surtout, quand elle a été trahie pendant plus d’un demi-siècle !

Maitre-mots

Si nul ne peut (encore) parler au nom du peuple, il n’en demeure pas moins que ses revendications et notamment celles de sa jeunesse ne peuvent être ignorées. La rupture irréversible avec le passé despotique en est une. L’autre concerne l’intérêt immédiat qu’il faut consacrer aux situations sociales les plus précaires. Bien entendu, ces problématiques ne pourront se régler rapidement tant la misère est grande notamment dans certaines régions. Mais aussi bien sur le plan politique que sur le plan économique et social, des signaux forts devront être donnés afin que ceux qui ont fait la Révolution aient le sentiment que plus jamais rien ne sera plus comme avant. C’est pourquoi les maitre-mots qui doivent rester présents dans tous les esprits sont ceux de la vigilance et de l’écoute.

Financement de la vie politique et écoute du peuple

Vigilance d’abord dans la préparation des élections annoncées. Le code électoral (provisoire, en attendant que la constituante soit élue) devra s’attacher à garantir la plus grande équité entre les candidats. En premier lieu, l’accès aux médias audio-visuels nécessitera la surveillance d’une instance indépendante garantissant un temps de parole équilibré entre les différents partis en lice. Une telle décision a déjà été prise. Restent à connaitre quels seront les moyens attribués à une telle instance, ses compétences réelles et les règles qu’elle édictera. En deuxième lieu, il conviendra de traiter un point crucial : celui du financement de la vie politique. On ne peut concevoir d’élections vraiment démocratiques sans envisager à la fois un financement public égal entre tous (dans la mesure où, par définition, le poids électoral des partis n’est pas encore connu) et surtout un plafonnement des dépenses liées à la prochaine campagne électorale. Il est si facile « d’acheter » des élections…
Ecoute des attentes du peuple, ensuite. La séquence politique que nous venons de vivre a démontré que les hésitations, le flou politique et l’absence de communication transparente, alimentaient une suspicion – au demeurant légitime – vis-à-vis des gouvernants, fussent-ils provisoires. Le peuple, dans sa diversité, ne veut plus être berné. Il a déjà douloureusement vécu dans sa chair d’avoir été si longtemps trompé. Une fois de plus, il ne s’agit pas tant d’impatience ou de radicalisme que de respect. Le message adressé est limpide : nous sommes capables de sacrifices (et nous l’avons montré !) mais nous voulons être respectés ! En homme politique expérimenté, le nouveau Premier Ministre, M.Béji Caïd Essebsi, semble l’avoir compris. Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’à cette condition que son gouvernement et lui-même pourront réussir dans la mission qui leur a été confiée. Malgré nos divergences, nous sommes nombreux à l’espérer mais le nouveau gouvernement sait bien qu’il sera jugé sur ses actes. De leur côté, la société civile ainsi que les partis politiques et les syndicats doivent continuer à exercer – librement- leur devoir de vigilance. En démocratie, il est sain qu’il en soit ainsi.

Hakim Bécheur, Médecin hospitalier, Chef de service
Sondès Zouaghi, Maître de conférences à l’Université
Slim Jouini, Médecin hospitalier, Chef de service
Sophia Bensédrine, Médecin libéral spécialiste
Adel Fekih, Chef d’entreprise
Amina Béji-Bécheur, Maître de conférences à l’Université

 

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